mardi 13 janvier 2009

Le consensus de l'establishment

La sur-médiatisation des candidats aux élections présidentielles amène par réaction à s’interroger sur la politique économique qu’ils entendent adopter, pour la France comme dans les enceintes internationales . Depuis 1982/1983, il est clair que l’arrimage du franc au mark s’est soldé , via des taux d’intérêt nominaux élevés, par une vague de restructurations industrielles massive, entraînant une montée corrélative du taux de chômage .Deux constatations s’imposent. La configuration démographique était très différente entre les deux pays moteurs de l’Union Européenne. Si l’Allemagne pouvait s’accommoder d’un taux de croissance faible, c’est en grande partie parce que les nouveaux entrants sur le marché du travail chaque année n’excédaient pas 90 000 personnes, contre plus du double en France ( environ 220 000 ). Par ailleurs, un tel ancrage n’a pas convaincu le pragmatisme typique de la mentalité anglo-saxonne. En 1993, le Royaume-Uni dévaluait la Livre de près de 30%, redonnant sa compétitivité à l’industrie britannique, suivi par l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande et plus tard la Finlande. Une telle politique, au moins pour le premier cité, a contribué à remettre le pays sur un sentier de croissance à long terme plus fort, avec les conséquences que l’on connaît sur le taux de chômage .On voit bien par ailleurs que le Royaume-Uni a réussi à maximiser les gains macroéconomiques de son comportement de « passager clandestin » : bénéfices du Marché Unique sans les coûts inhérents à l’appartenance à l’Euroland. En France, les initiateurs de ce qu’il est convenu d’appeler la politique du franc fort ont si bien formé leurs successeurs, que ceux-ci ont continué à défendre la doxa, alors que ses causes fondatrices disparaissaient en partie ou pour le moins s’estompaient ( tensions inflationnistes contenues, diminution du déficit de la balance des paiements, succès de la politique de désindexation de la boucle prix/salaires ). Les experts économiques ont leur part de responsabilité. Il aurait été idéalement possible d’élaborer une maquette de l’économie française en intégrant les plus récents apports académiques d’alors de la théorie du déséquilibre, mais sa conception et surtout son interprétation auraient rajouté à une confusion déjà grande, sans éclaircissement déterminant.

Une fois l’ orthodoxie économique acceptée à droite comme à gauche, l’establishment économique et financier, appuyé par les conseils du FMI et de l’OCDE, s’est trouvé un coupable tout désigné : les rigidités du marché du travail. Les faits ne corroborent pas cette thèse. L’estimation du taux de chômage dit « structurel » ( celui qui ne dépend pas de la conjoncture ) n’est pas robuste économétriquement. A titre d’exemple, les experts de l’OCDE ont-ils pu démontrer que ce dernier était passé de 6% à 10% en Finlande ( pour un chômage global de 12%) en l’espace de deux années( 1990-1991) , alors que le PIB de leur premier débouché à l’exportation, à savoir l’ex-URSS, s’effondrait de près de 30%, ce qui fournit une explication plus simple et surtout plus conforme à l’intuition. Par ailleurs, on peut se demander pourquoi la France reste si attractive pour les investisseurs étrangers ( elle occupe sur longue période entre la seconde et quatrième place mondiale ), si son marché du travail était si rigide qu’on le prétend, sachant par ailleurs que le différentiel de coûts salariaux unitaires avec l’étranger est l’une des variables-clés du choix de l’allocation géographique des investissements internationaux. En outre, le partage de la valeur ajoutée en France s’est opéré structurellement en faveur des profits des entreprises et au détriment des salariés, et ce depuis 25 ans. Les bénéfices records des entreprises du CAC40 depuis deux ans- dont il faut se féliciter- confirment cette tendance. Enfin, à partir du simple constat empirique observé auprès des chefs d’entreprises, il ressort que ces derniers savent parfaitement utiliser l’ensemble de la gamme des instruments à leur disposition. L’actualité en fournit un exemple éclairant. La Poste avait procédé à un renouvellement de CDD plus de 700 fois d’une de ses employés.

La définition des critères de Maastricht et le passage à la monnaie unique font aussi consensus. Il convient de se rappeler que la monnaie unique avait, dans l’esprit des plus hauts dirigeants politiques de l’époque, un seul objectif stratégique et politique à savoir arrimer l’Allemagne à l’Ouest après la chute du Mur de Berlin. Les critères de convergence nominale n’avaient en soi aucun fondement économique étayé, si ce n’est , et ce n’est pas à négliger, un alignement tiré de l’expérience sur les « meilleures pratiques » en la matière. De plus, l’Union Européenne n’est pas une zone monétaire optimale, contrairement aux Etats-Unis d’Amérique, comme l’ont abondamment démontré en leur temps les travaux de Mac KINNON (1973) et Meade (1980). Un détour simple par la théorie peut le montrer. En cas de choc asymétrique ( soit à titre d’hypothèse une baisse brutale de la demande mondiale en textile/habillement qui touche prioritairement les pays du sud de l’Europe ), l’ Union Européenne ne remplit pas les deux conditions impératives pour la création d’une monnaie unique, à savoir que le budget communautaire est insuffisant pour opérer les transferts nécessaires ( près de 1.2% du PIB ), et que surtout, la mobilité géographique de la main d’oeuvre au sein des pays européens, ou son dual, la flexibilité à la baisse des salaires réels sont très faibles ( contrairement aux USA ). Ainsi la FED estime -t’elle qu’un choc asymétrique pour certains Etats de l’Union est résorbé en moyenne en moins de trois ans pour plus de neuf ans et demi pour l’Europe. Il convient toutefois de relativiser les remarques théoriques émises ci-dessus. D’abord, il faut reconnaître que les critères de Maastricht ont de fait contraint les politiques budgétaires des États-Membres au sein de disciplines communes « vertueuses ». En second lieu, le Marché Unique et la création de l’euro sont devenus avec le temps des biens publics par ailleurs très précieux économiquement. Il n’en est pas moins vrai que les surcroîts de croissance attendus lors de leur mise en place n’ont jamais été vérifiés à posteriori.( ainsi, la création du marché unique en Europe en 1993 a malheureusement coïncidé avec une récession importante, due aux désordres monétaires dans la zone ). Il n’en est pas moins surprenant que les décideurs publics s’exonèrent d’une discipline élémentaire en vigueur dans les entreprises privées. En effet, leurs équipes dirigeantes exigent de leurs contrôleurs de gestion qu’ils justifient en permanence des écarts budgété/réalisé et formulent des recommandations correctrices.

Enfin, sur la scène internationale, on sait depuis les écrits de M. Stieglitz ( Prix Nobel d’économie, ancien conseiller économique du Président Clinton, ancien Economiste en chef de la Banque Mondiale ), relayés par des écrits « tout public » de MM Krugman, Dornbush et Rodrik, qu’en matière de gestion des crises internationales, le FMI fait partie du problème et non de la solution. Il est de fait avéré que les deux géants émergents de l’économie mondiale, la Chine et l’Inde , ne se sont jamais pliées aux recommandations du Fonds ( notamment la convertibilité du compte de capital ) A titre d’exemple, la politique de rigueur imposée à l’ Indonésie par le Fonds a largement amplifié l’effet récessif du choc initial, avec une baisse du PIB de près de 70% au bout de la deuxième année. .En Argentine, l’ouverture par le FMI d’une ligne de crédit de 40 milliards de dollars destinée à défendre le « currency board » était dès le départ peu crédible, puisque celle-ci ne couvrait que pendant un an et demi le besoin de financement structurel de l’économie du pays. Enfin, la Malaisie a été victime de la réévaluation aveugle et grégaire du risque « pays émergents » par les grandes banques internationales et les fonds de pension, alors qu’elle affichait des fondamentaux macroéconomiques parfaitement sains Par ailleurs, du côté des négociations commerciales multilatérales de l’OMC, on peut dresser les trois constatations suivantes. Est-il pertinent économiquement de faire miroiter aux pays en voie de développement que le Cycle de Doha sera celui du « développement », si l’UE, le Japon et les USA refusent toute concession un peu substantielle en matière agricole et maintiennent leurs subventions à l’agriculture, que l’OCDE estime à plus de 380 milliards de dollars par an, soit plus que la valeur ajoutée globale de la filière chez les PVD ?. L’Union Européenne est toutefois plus responsable car elle a annoncé qu’elle mettrait fin aux restitutions à compter de 2013..Est-il nécessaire d’inscrire à l’ordre du jour des négociations les thèmes de l’environnement, de l’investissement et du commerce électronique aux deux milliards d’êtres humains vivant sous le seuil de pauvreté ?.Enfin plus généralement , quand la communauté internationale adoptera -t’elle enfin une approche holistique intégrant de manière coordonnée des dimensions diverses désormais intrinsèquement liées : politique économique ( FMI ), commerce ( OMC ), finance ( Clubs de Paris et de Londres ), développement ( Aide Publique au Développement, Banque Mondiale, Banques Régionales ), environnement ( Agenda 21 de la Conférence de Rio et Protocole de Kyoto ). Toutefois, rien ne serait pire que de créer un nouveau monstre bureaucratique ingérable. Il conviendrait plutôt que les organisations existantes apprennent durablement à vivre en « mode projet » pour coordonner en amont leur approche multidisciplinaire.

Un détour psychologique peut enrichir notre diagnostic, bien qu’il puisse susciter un certain scepticisme. La branche la plus créative de la psychologie anglo-saxonne a été amenée à s’intéresser au fonctionnement des groupes et organisations de tout nature ( communautés scientifiques, religieuses, partisanes, etc……..). Il en ressort que toutes les idées abstraites, théories, interprétations, modèles, savoir-faire technique, expérience accumulée, font partie intégrante de l’identité psychique du penseur. Ainsi, le réflexe spontané du groupe devant l’arrivée d’une idée nouvelle, vise à adopter une communication commensale en mobilisant massivement les défenses les plus archaïques afin de sauvegarder le statut-quo intellectuel en vigueur. Son intégration raviverait en effet les angoisses précoces de perte, de séparation et d’abandon, que chacun cherche à éviter. Ces constatations sont conformes aux enseignements de l’épistémologie. En effet, il s’est souvent écoulé un temps parfois considérable entre la formulation d’une idée nouvelle et son acceptation par sa communauté d’origine : découvertes de Galilée, calcul infinitésimal de Leibnitz, , premières percées et intuitions de Freud, appréciation géniale de Lord Keynes sur le communisme dans une lettre à un ami de 1925 ou il s’interrogeait non sur le fait que ce système totalitaire puisse perdurer mais pourquoi il ne s’était pas déjà effondré , édition des trois articles fondateurs de 1905 d’ Einstein, alors fonctionnaire à l’Office des Brevets de Munich dans « Annalen der Physik », découvertes de Darwin, qui sont plus de 200 ans après contestées par la droite ultra-conservatrice outre atlantique. Enfin, la structuration croissante de la société civile ( sous des formes polymorphes ) a pour conséquence de faire émerger de nouveaux comportements qui sont pour la plupart très sains, à savoir entre autres l’appréciation rationnelle et on ne peut plus économique des promesses des dirigeants par rapport à leurs résultats effectifs. Finissons par une pure utopie, tant ses modalités concrètes sont difficiles à concevoir. Sans vouloir ouvrir une fausse fenêtre- tant ce qu’il est convenu d’appeler en psychologie un « changement catastrophique » est par nature strictement individuel dans un cadre inter-personnel, on peut rêver que,.pour sortir des impasses actuelles, il serait idéalement souhaitable que tant l’establishment ( tous partis politiques confondus, haute administration ) mais bien sûr aussi l’ensemble des citoyens ( sous forme individuelle et collective : syndicats, lobbies, monde associatif ) acceptent les turbulences émotionnelles inhérentes à un « changement catastrophique », seule condition authentiquement nécessaire à l’émergence d’idées radicalement nouvelles. Peut-être les contraintes du « développement durable », comme l’impact mondial tous azimuts presque exponentiel sur les vingt dernières années du changement climatique vont-ils en fournir les motifs ?

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