mardi 13 janvier 2009

Anatomie de la crise boursière et financière

Aujourd’hui 15 Octobre 2008, on estime que l’ensemble des Bourses mondiales ont grossièrement perdu entre 20 et 25% de leurs capitalisations sur un mois et de l’ordre de 35/45% sur l’ensemble de l’année. Hier, le FMI revoyait drastiquement ses prévisions à la baisse pour 0.1% de croissance pour la France en 2009 ( contre 1.4% précédemment ), soit un compte central proche de celui de l’ INSEE. La sphère réelle est désormais durement touchée. Un point de ressemblance avec la crise du « jeudi noir » d’octobre 1929 ( trois jours avant le krach, le Président Hoover lançait : « La prospérité est au coin de la rue ! » ) semble être la dévalorisation de tous les actifs, même les plus réels ( baisse de 15% des prix des loyers en région parisienne depuis trois mois ).

Cette crise, en dépit de son caractère alarmant, ne doit toutefois pas nous surprendre outre-mesure tant de telles turbulences de grande ampleur sont consubstantielles au capitalisme. Dans le passé récent, la « bulle Internet » de 1990-1991 s’était soldée par un krach boursier équivalent à celui d’aujourd’hui. En 1993, du fait de l’entrée en vigueur du « marché unique », les prévisionnistes avaient tablé sur 2.5% de croissance pour la France, le résultat constaté ex-post avait été de –3% pour notre pays, soit la pire récession depuis l’après-guerre, du fait d’une crise de changes sans précédent au sein de l’UE ( la Livre avait décroché de plus de 35% en trois mois, et le markka finlandais d’environ 42%, avec des ordres de grandeur similaires pour la peseta, l’escudo, la lire et la Livre irlandaise ). Enfin, la « crise asiatique » de 1997-1998 avait entraîné au bout de deux ans la nationalisation presque intégrale du secteur bancaire dans les pays visés ( Malaisie, Indonésie, Philippines, Thaïlande, Singapour…………..), puis sa revente avec des profits très substantiels quelques années après. On se souviendra également de la grande labilité et volatilité de cette crise, qui, partie d’Asie, avait contaminé d’abord la Russie, puis le Brésil, puis l’Argentine qui sera contrainte à une défense inappropriée de son « currency board » avant un effondrement bien prévisible ( revalorisation excessive, générale et indifférenciée du « risque pays émergents » par les grandes banques d’investissement et les Agences de notation ).

La crise actuelle est partie du marché hypothécaire des États-Unis . Les banques de détail ( il existe plus de 7000 banques petites et moyennes spécialisées sur le segment « retail » ( détail ) ) ont octroyé des prêts hypothécaires à haut risque à des conditions de plus en plus avantageuses ( subprimes ) à un public d’américains de classe moyenne voire modeste de moins en moins solvables, qui, à compter du premier semestre 2006, ont commencé à ne plus rembourser leurs mensualités. Une incise : les marchés financiers sont probablement ceux qui se rapprochent le plus des critères néo-classiques des « marchés parfaits » : transparence totale, totalité de l’information synthétisée dans les vecteurs de prix, coût marginal nul d’accès à l’ensemble de l’information, absence d’obstacles à la volatilité/arbitrage mondial instantané entre tous les types d’actifs financiers ( actions, obligations, devises, indices, taux, produits « exotiques » et dérivés ). Du fait de la « titrisation » ( transformation par les Fonds d’investissement, etc… d’ un actif risqué en un autre ), ces subprimes sont venues alimenter le marché interbancaire ( lieu virtuel de confrontation permanente de l’offre/demande de prêts à ( très ) court terme entre les institutions excédentaires en trésorerie et celles déficitaires, cette typologie étant le plus souvent structurelle ), mondial par définition et remplissant les critères précédemment définis. Tant que la confiance règne et que les traders ne s’intéressent pas à la nature des « papiers » qui transitent sur leurs écrans, tout fonctionne. Mais, un peu comme au poker, si l’un dit « pour voir ! », surgit un gros problème : les institutions commencent à faire la chasse aux actifs « pourris », passent des provisions considérables, déclarent des pertes qui entament la confiance de l’actionnariat et le « cycle infernal » se met en place. Pour l’heure, le circuit se boucle du fait du comportement de la Chine, ne serait-ce que du fait de ses quelques 1000 milliards de dollars de réserves de change, qui place sa trésorerie ( courte ) en bons du Trésor US ( longs ), mais tout se soldera à très court, moyen ou long terme par une pression fiscale sensiblement accrue sur les ménages américains.

De plus, le fonctionnement des marchés de « futures » ( catégorie particulière de marchés à terme ) est en grande partie irresponsable puisque l’effet de levier financier, notamment outre-Atlantique, peut couramment et communément atteindre un facteur 30. D’autre part, les appels de marge journaliers des opérateurs se font maintenant presque exclusivement en collatéraux ( titres, valeurs mobilières ), afin de couvrir le coût marginal de leurs positions ouvertes auprès des chambres de compensation. De tels comportements sont bien éloignés des caractéristiques des premiers marchés à terme de marchandises ( carcasses de porc à la Bourse de Chicago à la fin des années 70 ), ou les transactions restaient très régulées par les autorités publiques, même si déjà moins de 5% du notionnel se dénouait effectivement par des transactions physiques.

Entre l’été 2007 et l’été 2008, les grandes banques américaines ont provisionné dans leur comptabilité près de 500 milliards pour dépréciations d’actifs, ce qui est considérable. Ainsi, les USA ont-ils vu depuis moins de quelques mois tomber les plus beaux fleurons du NYSE ( New-York Stock Exchange ) : Lehman Brothers, Bear Stearns, Merill Lynch, Washington Mutual, Wachovia.puis l’assureur AIG, qui gère 200 milliards d’actifs. Afin d’arrêter l’hémorragie, le « Plan Paulson » ( du nom du Secrétaire d’État US au Trésor ), présenté deux fois au Congrès, prévoit le 18 septembre 2008, la création d’une structure de cantonnement et de défaisance abondée à hauteur de 700 milliards de dollars ( soit 5% du PIB des USA, se montant à environ 14.000 milliards de dollars ), et qui sera responsable de la gestion de tous les actifs « toxiques » ( dont les subprimes ) qui polluent les bilans bancaires. Loin de rassurer, la panique s ‘accroît encore : au Royaume-Uni, Northern Rock et Bradford Bingley sont recapitalisées et partiellement nationalisées, en France Fortis fait l’objet de mesures publiques, et en Belgique/Luxembourg et France, Dexia connaît le même sort. Hier, le Directeur Général du FMI, dans une allocution télévisée, révisait à la hausse le volume des actifs « pourris » à l’échelle planétaire, soit 1400 milliards de dollars repartis également entre l’ Europe et les USA.

Les canaux de transmission entre les sphères financière et réelle sont beaucoup plus directs et courts aux USA qu’ailleurs : 1 américain adulte sur 3 possède un portefeuille d’actions ( contre moins de 1 sur 7 en France ), et les retraites outre-Atlantique sont régies par le système de capitalisation. Le problème majeur pour l’économie réelle réside bien sûr dans le tarissement progressif du crédit, indispensable pour le bon fonctionnement des entreprises, des ménages et de l’ État lui-même. Ce phénomène « en aval » est causé par le dysfonctionnement du marché interbancaire qui fait que les liquidités injectées par les autorités publiques ( la « monnaie banque centrale » ), sont retenues et « captées » par les banques pour garder des réserves liquides, personne n’ayant plus aucune confiance dans la sécurité des transactions. Les marchés n’étant plus liquides, c’est le « credit Crunch » qui s’installe. En conséquence, le Premier Ministre François Fillon, annonce à la Chambre des Députés, outre la garantie des dépôts des particuliers en deçà d’un seuil de 50.000 euros et l’engagement solennel de l’État qu’aucune banque française ne fera faillite, une ouverture d’un « guichet » de 22 milliards d’euros destinés au financement des PME, dégagé à partir des excédents de trésorerie de certaines institutions publiques, dont prioritairement et notamment de la Caisse des Dépôts et Consignations. Il est vrai que les grandes entreprises industrielles et commerciales européennes évoluent dans une configuration originale ( depuis la « Banqueroute de Law » ( ?) ) puisqu’elles se financent aujourd’hui directement et temporairement auprès des Instituts d’émission nationaux ( BCE ), sans passer par le réseau bancaire. Ce dernier est donc totalement « désintermédié », l’intermédiation étant pourtant sa première raison d’être.

Comparaison/crise de 1929. D’une certaine manière plus grave du fait de la globalisation, de la grande complexité de certains produits financiers qui rend le diagnostic et l’évaluation publiques difficiles, et surtout de la place sans équivalent par rapport à 1929 du crédit dans la vie quotidienne des ménages, et ce à peu près partout dans le monde. Mais surtout beaucoup moins grave à cause : 1) des leçons tirées depuis 1929 : concertations européenne et internationale, injection massive de liquidités pour « désengorger » le marché interbancaire, via une baisse des taux directeurs ( un demi point ), de toutes les Banques Centrales, nationalisations partielles ou totales, États se portant garant des dépôts des particuliers de dernier ressort et beaucoup plus essentiel se portant « assureur » en bout de chaîne de tous prêts opérés par les banques sur le marché monétaire, 2) du poids de la puissance publique dans l’économie ( entre 30 USA et 50% du PIB France ) avec tous les effets attendus des stabilisateurs automatiques sur l’économie réelle, 3) enfin, du fait d’une plus grande diversité de la « polarisation » des centres de croissance au niveau mondial : USA/UE/Japon/Chine-Inde-Russie-Brésil.

En termes de récession de l’économie réelle, il faut se souvenir qu’aux termes de la « crise asiatique », l’Indonésie avait vu son PIB se rétracter d’environ 70% en deux ans, et les mieux lotis ( Thaïlande, Philippines, Malaisie ), avaient enregistré des chutes comprises entre 25 et 40%, si choquante pour la dernière qu’elle affichait quelques mois auparavant une excellente santé de ses « fondamentaux » au titre de la mission article IV du FMI. Il y a fort à parier que la récession sera plus accusée aux USA que :1) les moins-values boursières y ont été plus fortes qu’ailleurs, 2) que la nécessaire correction technique sera à due concurrence ( surévaluation des valeurs avec des PER (Price Earning Ratio, de l’ordre de 30- voire quarante - ) 3) que le « circuit » est court, 4) que les ménages y sont surendettés, 5) et enfin que les débouchés des USA à l’export se sont polarisées prioritairement vers l’ Asie, très fortement touchée elle-même par le retournement brutal de la conjoncture. Le recul pourrait d’être de 6 à 8%. L’Europe à l’inverse pourrait être moins affectée avec un retrait de l’ordre de 2 et 5%. La grande inconnue réside chez les pays émergents et PVD. Déjà lourdement affectés par la crise des produits agricoles de base, avec une APD des pays de l’OCDE en très fort recul depuis des années, et des organisations internationales qui peinent à prendre le relais ( prêt de 1.5 milliards de dollars alloués par la Banque Mondiale ! ), cette zone s’effondrerait encore plus dans la misère, la pauvreté et les pandémies actuelles ( bien que le continent ait cru de près de 5% en 2007.

En guise de prolongement purement psychologique ( tant le sentiment de la catastrophe fait partie intégrante de la catastrophe ), et si les opérateurs des salles de change, les entreprises et les particuliers continuaient à avoir des comportements marqués par la panique et des réflexes totalement irrationnels, il serait sans doute bon que l’ensemble des places boursières mondiales arrêtent leurs cotations pour une durée indéterminée, après un accord international ( ce rôle de coupe-circuit est par définition du ressort des seuls États ). La tenue d’une telle réunion a été proposée le Directeur Général du FMI en invitant ce week-end à Washington l’ensemble des Ministres de l’Économie et des Finances de la planète. Ce manque de délai fixe serait à mon sens nécessaire. Les banques, spéculateurs, États, particuliers pourraient être tentés dans l’entre-deux de former des alliances, s’engager dans des fusions, continuer à investir sur l’or, etc…..etc…bref de prendre des positions forcément risquées. L’ incertitude ainsi entretenue ferait peser un aléa moral important, rien ne justifiant à priori que la prise de position adoptée ex-ante soit la plus adaptée et la meilleure en termes d’optimalité économique et financière.

Enfin, pour en avoir discuté informellement avec certains, il n’est pas sûr que tant les traders, les analystes de marché, que les quelques spécialistes « pointus » en économie financière aient totalement compris les enchaînements et mécanismes en cours de la crise actuelle. Toutefois, une tendance assez nette se dégage. Les temps semblent désormais révolus ou le poids des services financiers dans le PIB comme le degré d’innovation de l’ingénierie financière soient encore des indicateurs pertinents de l’état « d’avancement » des économies. D’ou une retour en force de l’économie réelle. Un parallèle s’impose enfin. L’objectif du libre-échange au niveau mondial est de fait grosso modo réalisé ( hormis l’agriculture ou la tarification a été très tardive- 1995 -), si l’on ne prend en compte que les obstacles tarifaires et non-tarifaires « classiques » à la frontière. Il y aura fallu toutefois près de soixante ans, le tout se déroulant dans le cadre strict des règles et disciplines du GATT et du GATS-1995, pleinement agréés par les États et dont la légalité est soumise en droit par la jurisprudence de l’ Organe de Règlements des Différends ( ORD ) de l’ OMC. Certes des guidelines de « bonne gouvernance » en matière financière ont bien été édictées par le FMI, le Groupe de la Banque Mondiale, la Banque des Règlements Internationaux et l’ OCDE, mais sans aucun caractère contraignant. Un changement est souhaitable, bien que la nature même de transactions financières quasi-instantanées se prêtent évidemment très mal à toute tentative de ré règlementation.

Questions africaines

Votre article sur le « discours de Dakar » du Président Sarkozy m’a tout à la fois intéressé et rendu fort perplexe. Venant d’horizons différents, un certain nombre de penseurs ont tenté d’éclaircir quelques points caractéristiques, et à mon sens essentiels, de l’ Afrique noire. Tout d’abord, pourquoi qualifier de « cliché » l’anhistoricisme de Hegel sur l’ Afrique ?.Par formation et par expérience, je serais plus enclin à faire confiance à l’auteur de « La phénoménologie de l’esprit » qu’à nos « intellectuels » contemporains. Mais là n’est pas l’essentiel. Quand on demandait à Michel Rocard pourquoi ce continent n’a vu naître que deux pays émergents ( Afrique du sud et Maurice ), il citait pelle mêle la colonisation, des frontières aberrantes héritées du passé, de graves carences en matière de système éducatif de base et d’infrastructures, les conséquences de la « fracture numérique » etc…Certes, ce sont là de très bonnes raisons, mais elles souffrent toutes à mon sens d’un dénominateur commun défavorable qui en limite singulièrement la portée, à savoir leur nature presqu’exclusivement projective ( c’est la faute aux autres ).

Dans « Le regain démocratique », Jean-François Revel avait posé un diagnostic plus pertinent, à savoir que l’absence de développement est due pour une bonne part à l’insondable profondeur de corruption des élites africaines (sans doute quelques centaines de milliards de FF constants 1960, selon les estimations les plus modestes, les ont fait prospérer depuis 60 ans, soit un large multiple du PIB du continent ). On sait déjà que le Président de la République Française dispose de pouvoirs discrétionnaires très étendus quant à la nomination de quelques centaines d’emplois-clés. Dans ce prolongement, le lecteur se reportera avec profit aux Constitutions malienne ou tchadienne ( la liste n’est bien sûr pas limitative ), qui se sont inspirées de notre modèle pour l’amplifier encore. S’est donc constituée au cours du temps, toute une chaîne politico-administrative qui irrigue le tissu social de haut en bas. Les Organisations internationales ne s’y sont pas trompées. Depuis plus de 20 ans, la Banque Mondiale comme la Banque Africaine de Développement, censées ne rien connaître des besoins « essentiels » des populations, essaient de financer des projets à Chef de file bien identifié ( filière sectorielle porteuse ), à des publics cibles ( clubs et associations de femmes ) et à des acteurs internationaux reconnus ( ONG, fédérations culturelles ou caritatives ). A l’inverse, l’ aide publique au développement ( APD ) bilatérale française continue, et on peut le regretter, d’être encore distribuée d’ État à État.

Par ailleurs, certains citent souvent la richesse du continent en matières premières minérales de base comme un vecteur potentiel de développement de taille. Là encore, il ne faut pas se méprendre et rester d’une grande prudence.. Un des enseignements majeurs de l’ Histoire force à constater que les pays disposant d’une rente sont paradoxalement ceux qui ne se sont pas développés ou que celle-ci a durablement et souvent considérablement retardé ( échec du mercantilisme : Espagne des XVI et XVII siècles avec l’or des empires aztèque, maya et inca ; pays du Golfe actuellement, à l’inverse du Royaume-Uni et des villes hanséatiques qui n’avaient au départ aucune dotation factorielle favorable ).

Changeons maintenant totalement d’optique. M. Helmut SCHOECK, grand anthropologue et sociologue allemand ( inconnu en France comme il se doit ), s’est servi dans un ouvrage majeur ( « L’envie » Une histoire du Mal ), d’un concept-clé de la psychologie anglo-saxonne. Pour lui, la psyché africaine se caractérise, entre autres, par une envie archaïque très forte. En termes imagés, cela peut être résumé par l’adage « Qui m’aide est mon ennemi », sur le mode de ces nourrissons qui désespèrent leur mère en refusant le sein, les soins et tournant le dos à la croissance psychique. Synthétisant la somme de ces réflexions, n’est-ce pas ce que disait déjà Lévi-Strauss dans « Tristes tropiques », distinguant entre civilisations « chaudes » ( ou les conditions internes comme externes à l’individu sont réunies pour l’accumulation et l’enrichissement par strates successives de toutes les sortes de savoir, qui débute pour le monde occidental dès la « révolution néolithique » et culmine dans la Grèce du Vème siècle ), et civilisations « froides », chez lesquelles rien est contenu. Ce qui est « admissible » par les « intellectuels » dépend-il de l’étiquette idéologiquement correcte des auteurs ?. Ou encore, ce qui est détestable et raciste chez GUAINO ( bien que quelques éléments de cette sorte soient effectivement présents ), serait forcément admirable chez Lévi Strauss ?. A coup sûr, il existe bien une « question africaine »,dans le sens ou l’entendait Marx sur la « question juive ».

Le consensus de l'establishment

La sur-médiatisation des candidats aux élections présidentielles amène par réaction à s’interroger sur la politique économique qu’ils entendent adopter, pour la France comme dans les enceintes internationales . Depuis 1982/1983, il est clair que l’arrimage du franc au mark s’est soldé , via des taux d’intérêt nominaux élevés, par une vague de restructurations industrielles massive, entraînant une montée corrélative du taux de chômage .Deux constatations s’imposent. La configuration démographique était très différente entre les deux pays moteurs de l’Union Européenne. Si l’Allemagne pouvait s’accommoder d’un taux de croissance faible, c’est en grande partie parce que les nouveaux entrants sur le marché du travail chaque année n’excédaient pas 90 000 personnes, contre plus du double en France ( environ 220 000 ). Par ailleurs, un tel ancrage n’a pas convaincu le pragmatisme typique de la mentalité anglo-saxonne. En 1993, le Royaume-Uni dévaluait la Livre de près de 30%, redonnant sa compétitivité à l’industrie britannique, suivi par l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande et plus tard la Finlande. Une telle politique, au moins pour le premier cité, a contribué à remettre le pays sur un sentier de croissance à long terme plus fort, avec les conséquences que l’on connaît sur le taux de chômage .On voit bien par ailleurs que le Royaume-Uni a réussi à maximiser les gains macroéconomiques de son comportement de « passager clandestin » : bénéfices du Marché Unique sans les coûts inhérents à l’appartenance à l’Euroland. En France, les initiateurs de ce qu’il est convenu d’appeler la politique du franc fort ont si bien formé leurs successeurs, que ceux-ci ont continué à défendre la doxa, alors que ses causes fondatrices disparaissaient en partie ou pour le moins s’estompaient ( tensions inflationnistes contenues, diminution du déficit de la balance des paiements, succès de la politique de désindexation de la boucle prix/salaires ). Les experts économiques ont leur part de responsabilité. Il aurait été idéalement possible d’élaborer une maquette de l’économie française en intégrant les plus récents apports académiques d’alors de la théorie du déséquilibre, mais sa conception et surtout son interprétation auraient rajouté à une confusion déjà grande, sans éclaircissement déterminant.

Une fois l’ orthodoxie économique acceptée à droite comme à gauche, l’establishment économique et financier, appuyé par les conseils du FMI et de l’OCDE, s’est trouvé un coupable tout désigné : les rigidités du marché du travail. Les faits ne corroborent pas cette thèse. L’estimation du taux de chômage dit « structurel » ( celui qui ne dépend pas de la conjoncture ) n’est pas robuste économétriquement. A titre d’exemple, les experts de l’OCDE ont-ils pu démontrer que ce dernier était passé de 6% à 10% en Finlande ( pour un chômage global de 12%) en l’espace de deux années( 1990-1991) , alors que le PIB de leur premier débouché à l’exportation, à savoir l’ex-URSS, s’effondrait de près de 30%, ce qui fournit une explication plus simple et surtout plus conforme à l’intuition. Par ailleurs, on peut se demander pourquoi la France reste si attractive pour les investisseurs étrangers ( elle occupe sur longue période entre la seconde et quatrième place mondiale ), si son marché du travail était si rigide qu’on le prétend, sachant par ailleurs que le différentiel de coûts salariaux unitaires avec l’étranger est l’une des variables-clés du choix de l’allocation géographique des investissements internationaux. En outre, le partage de la valeur ajoutée en France s’est opéré structurellement en faveur des profits des entreprises et au détriment des salariés, et ce depuis 25 ans. Les bénéfices records des entreprises du CAC40 depuis deux ans- dont il faut se féliciter- confirment cette tendance. Enfin, à partir du simple constat empirique observé auprès des chefs d’entreprises, il ressort que ces derniers savent parfaitement utiliser l’ensemble de la gamme des instruments à leur disposition. L’actualité en fournit un exemple éclairant. La Poste avait procédé à un renouvellement de CDD plus de 700 fois d’une de ses employés.

La définition des critères de Maastricht et le passage à la monnaie unique font aussi consensus. Il convient de se rappeler que la monnaie unique avait, dans l’esprit des plus hauts dirigeants politiques de l’époque, un seul objectif stratégique et politique à savoir arrimer l’Allemagne à l’Ouest après la chute du Mur de Berlin. Les critères de convergence nominale n’avaient en soi aucun fondement économique étayé, si ce n’est , et ce n’est pas à négliger, un alignement tiré de l’expérience sur les « meilleures pratiques » en la matière. De plus, l’Union Européenne n’est pas une zone monétaire optimale, contrairement aux Etats-Unis d’Amérique, comme l’ont abondamment démontré en leur temps les travaux de Mac KINNON (1973) et Meade (1980). Un détour simple par la théorie peut le montrer. En cas de choc asymétrique ( soit à titre d’hypothèse une baisse brutale de la demande mondiale en textile/habillement qui touche prioritairement les pays du sud de l’Europe ), l’ Union Européenne ne remplit pas les deux conditions impératives pour la création d’une monnaie unique, à savoir que le budget communautaire est insuffisant pour opérer les transferts nécessaires ( près de 1.2% du PIB ), et que surtout, la mobilité géographique de la main d’oeuvre au sein des pays européens, ou son dual, la flexibilité à la baisse des salaires réels sont très faibles ( contrairement aux USA ). Ainsi la FED estime -t’elle qu’un choc asymétrique pour certains Etats de l’Union est résorbé en moyenne en moins de trois ans pour plus de neuf ans et demi pour l’Europe. Il convient toutefois de relativiser les remarques théoriques émises ci-dessus. D’abord, il faut reconnaître que les critères de Maastricht ont de fait contraint les politiques budgétaires des États-Membres au sein de disciplines communes « vertueuses ». En second lieu, le Marché Unique et la création de l’euro sont devenus avec le temps des biens publics par ailleurs très précieux économiquement. Il n’en est pas moins vrai que les surcroîts de croissance attendus lors de leur mise en place n’ont jamais été vérifiés à posteriori.( ainsi, la création du marché unique en Europe en 1993 a malheureusement coïncidé avec une récession importante, due aux désordres monétaires dans la zone ). Il n’en est pas moins surprenant que les décideurs publics s’exonèrent d’une discipline élémentaire en vigueur dans les entreprises privées. En effet, leurs équipes dirigeantes exigent de leurs contrôleurs de gestion qu’ils justifient en permanence des écarts budgété/réalisé et formulent des recommandations correctrices.

Enfin, sur la scène internationale, on sait depuis les écrits de M. Stieglitz ( Prix Nobel d’économie, ancien conseiller économique du Président Clinton, ancien Economiste en chef de la Banque Mondiale ), relayés par des écrits « tout public » de MM Krugman, Dornbush et Rodrik, qu’en matière de gestion des crises internationales, le FMI fait partie du problème et non de la solution. Il est de fait avéré que les deux géants émergents de l’économie mondiale, la Chine et l’Inde , ne se sont jamais pliées aux recommandations du Fonds ( notamment la convertibilité du compte de capital ) A titre d’exemple, la politique de rigueur imposée à l’ Indonésie par le Fonds a largement amplifié l’effet récessif du choc initial, avec une baisse du PIB de près de 70% au bout de la deuxième année. .En Argentine, l’ouverture par le FMI d’une ligne de crédit de 40 milliards de dollars destinée à défendre le « currency board » était dès le départ peu crédible, puisque celle-ci ne couvrait que pendant un an et demi le besoin de financement structurel de l’économie du pays. Enfin, la Malaisie a été victime de la réévaluation aveugle et grégaire du risque « pays émergents » par les grandes banques internationales et les fonds de pension, alors qu’elle affichait des fondamentaux macroéconomiques parfaitement sains Par ailleurs, du côté des négociations commerciales multilatérales de l’OMC, on peut dresser les trois constatations suivantes. Est-il pertinent économiquement de faire miroiter aux pays en voie de développement que le Cycle de Doha sera celui du « développement », si l’UE, le Japon et les USA refusent toute concession un peu substantielle en matière agricole et maintiennent leurs subventions à l’agriculture, que l’OCDE estime à plus de 380 milliards de dollars par an, soit plus que la valeur ajoutée globale de la filière chez les PVD ?. L’Union Européenne est toutefois plus responsable car elle a annoncé qu’elle mettrait fin aux restitutions à compter de 2013..Est-il nécessaire d’inscrire à l’ordre du jour des négociations les thèmes de l’environnement, de l’investissement et du commerce électronique aux deux milliards d’êtres humains vivant sous le seuil de pauvreté ?.Enfin plus généralement , quand la communauté internationale adoptera -t’elle enfin une approche holistique intégrant de manière coordonnée des dimensions diverses désormais intrinsèquement liées : politique économique ( FMI ), commerce ( OMC ), finance ( Clubs de Paris et de Londres ), développement ( Aide Publique au Développement, Banque Mondiale, Banques Régionales ), environnement ( Agenda 21 de la Conférence de Rio et Protocole de Kyoto ). Toutefois, rien ne serait pire que de créer un nouveau monstre bureaucratique ingérable. Il conviendrait plutôt que les organisations existantes apprennent durablement à vivre en « mode projet » pour coordonner en amont leur approche multidisciplinaire.

Un détour psychologique peut enrichir notre diagnostic, bien qu’il puisse susciter un certain scepticisme. La branche la plus créative de la psychologie anglo-saxonne a été amenée à s’intéresser au fonctionnement des groupes et organisations de tout nature ( communautés scientifiques, religieuses, partisanes, etc……..). Il en ressort que toutes les idées abstraites, théories, interprétations, modèles, savoir-faire technique, expérience accumulée, font partie intégrante de l’identité psychique du penseur. Ainsi, le réflexe spontané du groupe devant l’arrivée d’une idée nouvelle, vise à adopter une communication commensale en mobilisant massivement les défenses les plus archaïques afin de sauvegarder le statut-quo intellectuel en vigueur. Son intégration raviverait en effet les angoisses précoces de perte, de séparation et d’abandon, que chacun cherche à éviter. Ces constatations sont conformes aux enseignements de l’épistémologie. En effet, il s’est souvent écoulé un temps parfois considérable entre la formulation d’une idée nouvelle et son acceptation par sa communauté d’origine : découvertes de Galilée, calcul infinitésimal de Leibnitz, , premières percées et intuitions de Freud, appréciation géniale de Lord Keynes sur le communisme dans une lettre à un ami de 1925 ou il s’interrogeait non sur le fait que ce système totalitaire puisse perdurer mais pourquoi il ne s’était pas déjà effondré , édition des trois articles fondateurs de 1905 d’ Einstein, alors fonctionnaire à l’Office des Brevets de Munich dans « Annalen der Physik », découvertes de Darwin, qui sont plus de 200 ans après contestées par la droite ultra-conservatrice outre atlantique. Enfin, la structuration croissante de la société civile ( sous des formes polymorphes ) a pour conséquence de faire émerger de nouveaux comportements qui sont pour la plupart très sains, à savoir entre autres l’appréciation rationnelle et on ne peut plus économique des promesses des dirigeants par rapport à leurs résultats effectifs. Finissons par une pure utopie, tant ses modalités concrètes sont difficiles à concevoir. Sans vouloir ouvrir une fausse fenêtre- tant ce qu’il est convenu d’appeler en psychologie un « changement catastrophique » est par nature strictement individuel dans un cadre inter-personnel, on peut rêver que,.pour sortir des impasses actuelles, il serait idéalement souhaitable que tant l’establishment ( tous partis politiques confondus, haute administration ) mais bien sûr aussi l’ensemble des citoyens ( sous forme individuelle et collective : syndicats, lobbies, monde associatif ) acceptent les turbulences émotionnelles inhérentes à un « changement catastrophique », seule condition authentiquement nécessaire à l’émergence d’idées radicalement nouvelles. Peut-être les contraintes du « développement durable », comme l’impact mondial tous azimuts presque exponentiel sur les vingt dernières années du changement climatique vont-ils en fournir les motifs ?