mardi 13 janvier 2009

Anatomie de la crise boursière et financière

Aujourd’hui 15 Octobre 2008, on estime que l’ensemble des Bourses mondiales ont grossièrement perdu entre 20 et 25% de leurs capitalisations sur un mois et de l’ordre de 35/45% sur l’ensemble de l’année. Hier, le FMI revoyait drastiquement ses prévisions à la baisse pour 0.1% de croissance pour la France en 2009 ( contre 1.4% précédemment ), soit un compte central proche de celui de l’ INSEE. La sphère réelle est désormais durement touchée. Un point de ressemblance avec la crise du « jeudi noir » d’octobre 1929 ( trois jours avant le krach, le Président Hoover lançait : « La prospérité est au coin de la rue ! » ) semble être la dévalorisation de tous les actifs, même les plus réels ( baisse de 15% des prix des loyers en région parisienne depuis trois mois ).

Cette crise, en dépit de son caractère alarmant, ne doit toutefois pas nous surprendre outre-mesure tant de telles turbulences de grande ampleur sont consubstantielles au capitalisme. Dans le passé récent, la « bulle Internet » de 1990-1991 s’était soldée par un krach boursier équivalent à celui d’aujourd’hui. En 1993, du fait de l’entrée en vigueur du « marché unique », les prévisionnistes avaient tablé sur 2.5% de croissance pour la France, le résultat constaté ex-post avait été de –3% pour notre pays, soit la pire récession depuis l’après-guerre, du fait d’une crise de changes sans précédent au sein de l’UE ( la Livre avait décroché de plus de 35% en trois mois, et le markka finlandais d’environ 42%, avec des ordres de grandeur similaires pour la peseta, l’escudo, la lire et la Livre irlandaise ). Enfin, la « crise asiatique » de 1997-1998 avait entraîné au bout de deux ans la nationalisation presque intégrale du secteur bancaire dans les pays visés ( Malaisie, Indonésie, Philippines, Thaïlande, Singapour…………..), puis sa revente avec des profits très substantiels quelques années après. On se souviendra également de la grande labilité et volatilité de cette crise, qui, partie d’Asie, avait contaminé d’abord la Russie, puis le Brésil, puis l’Argentine qui sera contrainte à une défense inappropriée de son « currency board » avant un effondrement bien prévisible ( revalorisation excessive, générale et indifférenciée du « risque pays émergents » par les grandes banques d’investissement et les Agences de notation ).

La crise actuelle est partie du marché hypothécaire des États-Unis . Les banques de détail ( il existe plus de 7000 banques petites et moyennes spécialisées sur le segment « retail » ( détail ) ) ont octroyé des prêts hypothécaires à haut risque à des conditions de plus en plus avantageuses ( subprimes ) à un public d’américains de classe moyenne voire modeste de moins en moins solvables, qui, à compter du premier semestre 2006, ont commencé à ne plus rembourser leurs mensualités. Une incise : les marchés financiers sont probablement ceux qui se rapprochent le plus des critères néo-classiques des « marchés parfaits » : transparence totale, totalité de l’information synthétisée dans les vecteurs de prix, coût marginal nul d’accès à l’ensemble de l’information, absence d’obstacles à la volatilité/arbitrage mondial instantané entre tous les types d’actifs financiers ( actions, obligations, devises, indices, taux, produits « exotiques » et dérivés ). Du fait de la « titrisation » ( transformation par les Fonds d’investissement, etc… d’ un actif risqué en un autre ), ces subprimes sont venues alimenter le marché interbancaire ( lieu virtuel de confrontation permanente de l’offre/demande de prêts à ( très ) court terme entre les institutions excédentaires en trésorerie et celles déficitaires, cette typologie étant le plus souvent structurelle ), mondial par définition et remplissant les critères précédemment définis. Tant que la confiance règne et que les traders ne s’intéressent pas à la nature des « papiers » qui transitent sur leurs écrans, tout fonctionne. Mais, un peu comme au poker, si l’un dit « pour voir ! », surgit un gros problème : les institutions commencent à faire la chasse aux actifs « pourris », passent des provisions considérables, déclarent des pertes qui entament la confiance de l’actionnariat et le « cycle infernal » se met en place. Pour l’heure, le circuit se boucle du fait du comportement de la Chine, ne serait-ce que du fait de ses quelques 1000 milliards de dollars de réserves de change, qui place sa trésorerie ( courte ) en bons du Trésor US ( longs ), mais tout se soldera à très court, moyen ou long terme par une pression fiscale sensiblement accrue sur les ménages américains.

De plus, le fonctionnement des marchés de « futures » ( catégorie particulière de marchés à terme ) est en grande partie irresponsable puisque l’effet de levier financier, notamment outre-Atlantique, peut couramment et communément atteindre un facteur 30. D’autre part, les appels de marge journaliers des opérateurs se font maintenant presque exclusivement en collatéraux ( titres, valeurs mobilières ), afin de couvrir le coût marginal de leurs positions ouvertes auprès des chambres de compensation. De tels comportements sont bien éloignés des caractéristiques des premiers marchés à terme de marchandises ( carcasses de porc à la Bourse de Chicago à la fin des années 70 ), ou les transactions restaient très régulées par les autorités publiques, même si déjà moins de 5% du notionnel se dénouait effectivement par des transactions physiques.

Entre l’été 2007 et l’été 2008, les grandes banques américaines ont provisionné dans leur comptabilité près de 500 milliards pour dépréciations d’actifs, ce qui est considérable. Ainsi, les USA ont-ils vu depuis moins de quelques mois tomber les plus beaux fleurons du NYSE ( New-York Stock Exchange ) : Lehman Brothers, Bear Stearns, Merill Lynch, Washington Mutual, Wachovia.puis l’assureur AIG, qui gère 200 milliards d’actifs. Afin d’arrêter l’hémorragie, le « Plan Paulson » ( du nom du Secrétaire d’État US au Trésor ), présenté deux fois au Congrès, prévoit le 18 septembre 2008, la création d’une structure de cantonnement et de défaisance abondée à hauteur de 700 milliards de dollars ( soit 5% du PIB des USA, se montant à environ 14.000 milliards de dollars ), et qui sera responsable de la gestion de tous les actifs « toxiques » ( dont les subprimes ) qui polluent les bilans bancaires. Loin de rassurer, la panique s ‘accroît encore : au Royaume-Uni, Northern Rock et Bradford Bingley sont recapitalisées et partiellement nationalisées, en France Fortis fait l’objet de mesures publiques, et en Belgique/Luxembourg et France, Dexia connaît le même sort. Hier, le Directeur Général du FMI, dans une allocution télévisée, révisait à la hausse le volume des actifs « pourris » à l’échelle planétaire, soit 1400 milliards de dollars repartis également entre l’ Europe et les USA.

Les canaux de transmission entre les sphères financière et réelle sont beaucoup plus directs et courts aux USA qu’ailleurs : 1 américain adulte sur 3 possède un portefeuille d’actions ( contre moins de 1 sur 7 en France ), et les retraites outre-Atlantique sont régies par le système de capitalisation. Le problème majeur pour l’économie réelle réside bien sûr dans le tarissement progressif du crédit, indispensable pour le bon fonctionnement des entreprises, des ménages et de l’ État lui-même. Ce phénomène « en aval » est causé par le dysfonctionnement du marché interbancaire qui fait que les liquidités injectées par les autorités publiques ( la « monnaie banque centrale » ), sont retenues et « captées » par les banques pour garder des réserves liquides, personne n’ayant plus aucune confiance dans la sécurité des transactions. Les marchés n’étant plus liquides, c’est le « credit Crunch » qui s’installe. En conséquence, le Premier Ministre François Fillon, annonce à la Chambre des Députés, outre la garantie des dépôts des particuliers en deçà d’un seuil de 50.000 euros et l’engagement solennel de l’État qu’aucune banque française ne fera faillite, une ouverture d’un « guichet » de 22 milliards d’euros destinés au financement des PME, dégagé à partir des excédents de trésorerie de certaines institutions publiques, dont prioritairement et notamment de la Caisse des Dépôts et Consignations. Il est vrai que les grandes entreprises industrielles et commerciales européennes évoluent dans une configuration originale ( depuis la « Banqueroute de Law » ( ?) ) puisqu’elles se financent aujourd’hui directement et temporairement auprès des Instituts d’émission nationaux ( BCE ), sans passer par le réseau bancaire. Ce dernier est donc totalement « désintermédié », l’intermédiation étant pourtant sa première raison d’être.

Comparaison/crise de 1929. D’une certaine manière plus grave du fait de la globalisation, de la grande complexité de certains produits financiers qui rend le diagnostic et l’évaluation publiques difficiles, et surtout de la place sans équivalent par rapport à 1929 du crédit dans la vie quotidienne des ménages, et ce à peu près partout dans le monde. Mais surtout beaucoup moins grave à cause : 1) des leçons tirées depuis 1929 : concertations européenne et internationale, injection massive de liquidités pour « désengorger » le marché interbancaire, via une baisse des taux directeurs ( un demi point ), de toutes les Banques Centrales, nationalisations partielles ou totales, États se portant garant des dépôts des particuliers de dernier ressort et beaucoup plus essentiel se portant « assureur » en bout de chaîne de tous prêts opérés par les banques sur le marché monétaire, 2) du poids de la puissance publique dans l’économie ( entre 30 USA et 50% du PIB France ) avec tous les effets attendus des stabilisateurs automatiques sur l’économie réelle, 3) enfin, du fait d’une plus grande diversité de la « polarisation » des centres de croissance au niveau mondial : USA/UE/Japon/Chine-Inde-Russie-Brésil.

En termes de récession de l’économie réelle, il faut se souvenir qu’aux termes de la « crise asiatique », l’Indonésie avait vu son PIB se rétracter d’environ 70% en deux ans, et les mieux lotis ( Thaïlande, Philippines, Malaisie ), avaient enregistré des chutes comprises entre 25 et 40%, si choquante pour la dernière qu’elle affichait quelques mois auparavant une excellente santé de ses « fondamentaux » au titre de la mission article IV du FMI. Il y a fort à parier que la récession sera plus accusée aux USA que :1) les moins-values boursières y ont été plus fortes qu’ailleurs, 2) que la nécessaire correction technique sera à due concurrence ( surévaluation des valeurs avec des PER (Price Earning Ratio, de l’ordre de 30- voire quarante - ) 3) que le « circuit » est court, 4) que les ménages y sont surendettés, 5) et enfin que les débouchés des USA à l’export se sont polarisées prioritairement vers l’ Asie, très fortement touchée elle-même par le retournement brutal de la conjoncture. Le recul pourrait d’être de 6 à 8%. L’Europe à l’inverse pourrait être moins affectée avec un retrait de l’ordre de 2 et 5%. La grande inconnue réside chez les pays émergents et PVD. Déjà lourdement affectés par la crise des produits agricoles de base, avec une APD des pays de l’OCDE en très fort recul depuis des années, et des organisations internationales qui peinent à prendre le relais ( prêt de 1.5 milliards de dollars alloués par la Banque Mondiale ! ), cette zone s’effondrerait encore plus dans la misère, la pauvreté et les pandémies actuelles ( bien que le continent ait cru de près de 5% en 2007.

En guise de prolongement purement psychologique ( tant le sentiment de la catastrophe fait partie intégrante de la catastrophe ), et si les opérateurs des salles de change, les entreprises et les particuliers continuaient à avoir des comportements marqués par la panique et des réflexes totalement irrationnels, il serait sans doute bon que l’ensemble des places boursières mondiales arrêtent leurs cotations pour une durée indéterminée, après un accord international ( ce rôle de coupe-circuit est par définition du ressort des seuls États ). La tenue d’une telle réunion a été proposée le Directeur Général du FMI en invitant ce week-end à Washington l’ensemble des Ministres de l’Économie et des Finances de la planète. Ce manque de délai fixe serait à mon sens nécessaire. Les banques, spéculateurs, États, particuliers pourraient être tentés dans l’entre-deux de former des alliances, s’engager dans des fusions, continuer à investir sur l’or, etc…..etc…bref de prendre des positions forcément risquées. L’ incertitude ainsi entretenue ferait peser un aléa moral important, rien ne justifiant à priori que la prise de position adoptée ex-ante soit la plus adaptée et la meilleure en termes d’optimalité économique et financière.

Enfin, pour en avoir discuté informellement avec certains, il n’est pas sûr que tant les traders, les analystes de marché, que les quelques spécialistes « pointus » en économie financière aient totalement compris les enchaînements et mécanismes en cours de la crise actuelle. Toutefois, une tendance assez nette se dégage. Les temps semblent désormais révolus ou le poids des services financiers dans le PIB comme le degré d’innovation de l’ingénierie financière soient encore des indicateurs pertinents de l’état « d’avancement » des économies. D’ou une retour en force de l’économie réelle. Un parallèle s’impose enfin. L’objectif du libre-échange au niveau mondial est de fait grosso modo réalisé ( hormis l’agriculture ou la tarification a été très tardive- 1995 -), si l’on ne prend en compte que les obstacles tarifaires et non-tarifaires « classiques » à la frontière. Il y aura fallu toutefois près de soixante ans, le tout se déroulant dans le cadre strict des règles et disciplines du GATT et du GATS-1995, pleinement agréés par les États et dont la légalité est soumise en droit par la jurisprudence de l’ Organe de Règlements des Différends ( ORD ) de l’ OMC. Certes des guidelines de « bonne gouvernance » en matière financière ont bien été édictées par le FMI, le Groupe de la Banque Mondiale, la Banque des Règlements Internationaux et l’ OCDE, mais sans aucun caractère contraignant. Un changement est souhaitable, bien que la nature même de transactions financières quasi-instantanées se prêtent évidemment très mal à toute tentative de ré règlementation.

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